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Femmes de tête

Publié par Magazine Charlevoix le 1 mars 2025
Écrit par Émélie Bernier, Initiative de journalisme local

Qu’ont en commun Gabrielle Coulombe, de la ferme fl orale Aux Monts Fleuris, Vicky Boily, de La Ferme Basque de Charlevoix, et Julie Bouchard, d’Al Dente? Elles ont toutes trois fait le choix de l’entrepreneuriat. Parties de rien, la première est une bien nommée « jeune pousse » tandis que la dernière fait fi gure de pionnière avec plus de 27 ans d’expérience. La seconde, elle, a fait le choix du repreneuriat. Dialogues à trois têtes sur l’entrepreneuriat au féminin, au fi nal pas si diff érent de l’entrepreneuriat tout court!

Quelle a été la bougie d’allumage qui vous a menée à l’entrepreneuriat?

Julie Bouchard (JB) : « J’ai toujours été une bosseuse. Mes parents étaient entrepreneurs. Ils avaient une cabane à sucre et un casse-croûte. J’ai mon doctorat en épluchage de patates! J’ai travaillé pour eux, ce n’était pas un choix, mais j’aimais ça. Puis un jour mon père m’a dit « va gagner de l’argent neuve! » J’ai étudié en gestion hôtelière et j’ai travaillé pour d’autres avant de me lancer dans l’aventure Al Dente. Finalement, j’ai réalisé que c’est impossible pour moi de travailler pour quelqu’un parce que je déteste me faire freiner dans mes idées. »

Vicky Boily (VB) : « J’ai grandi sur une ferme laitière. Ma mère a toujours eu deux jobs et elle a même lancé son entreprise à 40 ans. J’ai tout le temps connu ça, l’entrepreneuriat. Je pense que j’avais la fibre! Je suis devenue actionnaire de la ferme avec mon père, mais
on n’avait pas la même passion, la même vision… Il y a eu un clash. Et mon chum, qui avait un très bon emploi dans une industrie, avait envie de se lancer avec moi. On a cherché deux heures autour de Jonquière et on est tombé sur la Ferme Basque qui cherchait des repreneurs. Ç’a été un match parfait. »

Gabrielle Coulombe (GC) : « Enfant, je voyais ma mère partir tous les jours dans le trafic matin et soir, avec ses deux semaines de congé par année tandis que mon père était horticulteur, il travaillait dehors, gérait son horaire plus librement. Les deux travaillaient énormément, mais ce que faisait mon père me parlait plus. J’ai un profil atypique. Je suis travailleuse sociale. J’ai essayé de « fitter » dans les cadres, mais trop de contraintes, ça ne me sied pas. J’ai été travailleuse autonome puis j’ai fait une écœurantite d’écran. Mon père et moi, on avait envie de partir un projet ensemble. Il était déménagé dans Charlevoix pour ça, puis il est décédé subitement. Ç’a été l’élan pour le projet entrepreneurial. Pour mon père. Et pour mon gars qui avait 3 mois. J’avais envie d’offrir à mon fils ce que j’avais connu enfant. »

Pourquoi avez-vous choisi vos créneaux respectifs?

JB : « Initialement, nous avons lancé l’entreprise à trois. Et la question n’était pas « qu’est-ce qu’on veut faire? », mais « qu’est-ce qu’on peut apporter? » Des pâtes fraîches, il n’y en avait pas dans Charlevoix! »

VB : « Je venais d’une production à quota et je n’avais pas envie de me relancer là-dedans. Avec le canard, je n’ai pas les contraintes des productions contingentées. J’ai plus de liberté, ce qui marche bien pour mon genre de profil. Et côté production, ça ne me stressait pas d’aller ailleurs. Une infirmière est capable de traiter un patient de 20 ans et un gars de 40 ans! »

GC : « Mon père m’a transmis l’amour des fleurs. La nature a toujours été un refuge pour moi depuis que je suis toute petite, c’est mon lieu. »

Est-ce que votre milieu familial ou amical a tenté de vous décourager quand vous avez décidé de vous lancer en entreprise?

VB : « Ce n’était même une question! Ça allait de soi. »

JB : J’étais jeune et innocente, j’avais 23 ans. Mon père m’a dit son éternelle devise : « fille, dans la vie c’est toi qui décides, vas-y go ». Mon chum aussi m’a encouragée. »

GC : « Non, pas vraiment! Mon entourage était habitué de me voir changer de travail, j’ai beaucoup bougé. Pour eux, c’était une belle patente, normale! Les questionnements étaient plus par rapport à la maternité. « Ton enfant est jeune, à quel point tu vas être disponible pour lui? » J’ai senti ça, alors que mon ex-conjoint, qui est aussi dans l’entreprise, ne se fait jamais poser la question. »

Parlant d’enfant… Vous êtes toutes les trois mamans, qu’est-ce que le fait d’être entrepreneure a changé dans votre rapport à la maternité?

JB : « Disons que ma mère trouvait que c’était long… J’ai eu mes enfants plus tard. Je ne pense pas que j’attendais quoi que ce soit, j’étais juste à fond dans mon entreprise. Évidemment, en tant que femme entrepreneur, c’est différent parce que tu as le passage obligé de la grossesse. Les deux fois, je n’ai pas vraiment arrêté. Le bébé était toujours avec moi, le tire-lait dans la sacoche… Je n’ai pas connu ça, le congé de maternité. De toute façon, j’avais physiquement hâte de recommencer! »

VB : « J’ai eu mes quatre enfants quand j’avais la ferme laitière et je n’ai jamais vu ça comme un obstacle. J’ai été parmi les premières de mes amies à avoir des enfants et ce qui était un peu difficile, c’est qu’on me disait, « on sait bien, toi, c’est plus facile, tu es à la maison »… Et c’était des amies proches, des femmes! J’avais envie de leur dire « mets mes culottes pendant une semaine, tu vas retourner dans les tiennes », mais je me suis mise une carapace. »

GC : « Devenir mère a stimulé le projet entrepreneurial, dans la transmission de ce que mon père m’avait transmis de précieux. J’ai envie que mon gars vive dans un champ de fleurs, comme moi. Franchement, mon fils est un moteur! Je veux qu’il grandisse face à un adulte qui s’est écouté, qui vit quelque chose d’édifiant, plutôt que devant une mère aigrie parce qu’elle a une job qui ne lui convient pas… C’est sûr que la conciliation avec un enfant de 2 ans et demi, c’est un beau défi!

Est-ce que vous avez senti que votre genre influençait le regard des gens sur vous?

JB : « Moi, je n’ai pas senti ça, peut-être parce qu’une femme est bienvenue dans une cuisine? Je n’ai jamais vu de barrière… Sauf avec certains fournisseurs qui vont spontanément se tourner vers mon chum, qui est copropriétaire. Des fois, je dois dire : hey, c’est moi qui m’occupe de ça! »

VB : « Non, pas vraiment… C’est sûr qu’il y a une certaine génération d’hommes qui ne sont pas si habitués de transiger avec des femmes dans le milieu agricole, mais ce n’est pas irrespectueux. C’est juste une question d’éducation… J’ai été la première femme au c.a. des producteurs de lait dans ma région et je n’ai pas senti qu’on me traitait différemment parce que j’étais une femme. Je sentais que mes idées étaient différentes, mais bien reçues. On m’a souvent dit que ça faisait du bien dans les c.a… Et dans la région, j’ai été très bien accueillie. Les anciens propriétaires ont fait une grosse fête quand on est arrivé!

GC: « Moi, ça m’est arrivé… Avec ma carrure, quand des fournisseurs arrivent, ils y en qui me demandent « il est où, ton chum? » et je dois leur dire, « ben non, c’est moi qui vais t’aider à vider le camion, je suis capable. » Il y en a qui sont un peu paternalistes, « t’es sûre que tu veux mettre ton tas de terre-là? », genre «je vais t’apprendre la vie » … Mais c’est moi qui décide ! (Rires)

VB : « C’est vrai que, des fois, il y a une confiance de moins, une petite crédibilité de moins… »

GC : « La fille qui fait pousser des fleurs, c’est cute, mais faut rappeler que ce n’est pas un loisir, c’est une production agricole, donc beaucoup de travail ! »

JB : « Dans mon domaine, il y a le culte du chef, mais on n’entend pas mal moins parler du culte de la cheffe!» (Rires)

Qu’est-ce que vous diriez à une femme qui songe à se lancer en affaires?

JB : « Comme mon père : « fille, c’est toi qui décides». J’ajouterais « fais quelque chose que tu aimes, mais prépare-toi à travailler. » Il ne faut pas penser que tu vas être bon dans tout! La base, c’est de t’entourer de personnes compétentes. C’est pas tout d’avoir la fibre! Il faut aussi se former, s’éduquer et ne pas s’asseoir sur ses lauriers. Quand tu sais que tu ne sais pas, tu as un grand bout de fait. »

GC : « Entoure-toi bien. Ne pense pas que tu vas être capable de tout faire toute seule et que c’est la bonne affaire. Là, je me parle! On enseigne ce qu’on a le plus besoin d’apprendre. Donc : « reste pas toute seule et reste pas là si ça ne fait plus de sens. »

VB : « Je dirais aussi s’entourer, s’écouter, se faire confiance. Et si tu as la révélation, attends pas trop. Dans 15 ans, tu vas peut-être trouver le saut dans le vide plus épeurant …Vas-y! »

Elles sont allées. Et pas question de revenir en arrière.

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